Le vent annoncé en haute altitude nous dissuade de tenter notre projet en face sud de la Meije. Alors on opte pour un « plan bé » qui s’avèrera devenir rapidement un « plan ha » tellement c’était bien. C’était aussi un petit objectif de longue date: la voie « Happy birthday » à la Croix des Têtes.
Avec Xavier, on se fait depuis quelque temps la compétition (amicale!) de celui qui « coche » le plus de voies du magnifique topo de Philippe Mussatto « Itinéraires d’un grimpeur gâté »… Avec Mathilde, on commence à le connaître par coeur ce topo et « Happy birthday » est en tête de liste de nos envies depuis un moment. Cette semaine, on a plusieurs jours devant nous et la météo est idéale (ni trop chaude, ni glaciale), alors malgré notre manque de forme en escalade on se lance. Parce que bon! Faut se lancer des fois.
Petit voyage « à la maison »:
Trop attirés par la curiosité de visiter le refuge Bonnant, on opte pour une version en deux jours. Premier jour: montée (puis descente!) vers le refuge Bonnant. Deuxième jour: la voie et retour. Cela implique de ne prendre que le stricte minimum parce que tout ce qu’on amène au refuge doit être hissé dans la voie. Revenir reprendre des affaires au refuge (et donc redescendre et remonter la via ferrata) est une option qui n’emballera personne après une journée à la Croix des Têtes… Donc pas de sacs de couchage: on mise sur les couvertures laissées au refuge. Ouf, y’en a!
L’ambiance générale:
Le contraste est fort entre l’urbanisation du fond de la vallée et la solitude et rudesse du massif de la Croix des Têtes. Vous quittez la gigantesque autoroute de la Maurienne, ses usines et lotissements, pour accéder, via des chemins peu parcourus, une via ferrata aventurière et un refuge « roots », à une face de 600 mètres de haut avec des itinéraires d’escalade exigeants, engagés et bien méconnus…
Le refuge Bonnant:
On se demande parfois quelle énergie a nourri les constructeurs de certaines cabanes en montagne. Loin de tout, pas vraiment cruciale pour les projets alpins, sylvicoles ou de chasse, la cabane Bonnant est là pour être là! Alors autant lui rendre visite. Prévoyez deux heures pour arriver au « Passage du Pin » puis une grosse demi-heure pour rejoindre la cabane. La via ferrata n’est pas aséptisée mais entretenue par le club alpin de la Maurienne, merci à lui. Ensuite, le chemin dans la forêt est par contre pénible: beaucoup d’arbres tombés vous barrerons la route. Dans la cabane, matelas et couvertures sont quelque peu souillés par les rongeurs, chauves-souris et autres locaux du coin! Pas de gaz utilisable.
Il y a de l’eau qui coule a petit débit dans une vasque située dans le lit de la rivière « Le Bonnant », quelques dizaines de mètre en aval de la dernière convergence de ruisseaux, au NNE du refuge.
La voie:
Six cent mètres d’escalade d’une traite, sans une vire et sans aucune longueur plus facile que le reste, c’est rare dans les Alpes! Six longueurs dans le septième degré, dix longueurs entre 6c et 6c+… et une en 6a! Soutenu sur 17 longueurs. On a trouvé les cotations sévères, mais on s’éloigne volontiers du débat de « re-cotation » qui est parfois de mise sur internet… Beaucoup de pas sont obligatoires (7a minimum… le premier 7b faisant référence en la matière!) mais rien de dangereux. Normal: y’a aucune vire sur laquelle s’écraser!
La première partie est en rocher compact avec des prises extraordinaires. Ce n’est pas vertical, mais pas pour autant « en dalle » comme on a pu entendre. L’escalade y est certes beaucoup sur les pieds, mais vous devrez avoir un bon sens de la lecture du rocher pour dénicher les nécessaires petites prises de main qui jouent souvent à cache-cache avec vous. La deuxième partie est en rocher moins fou, mais l’ambiance est telle que cela reste « délire! ».
Vous l’aurez compris, on a trouvé vraiment la voie magnifique. Et c’est un euphémisme… Toutes les longueurs sont en rocher fabuleux. Toutes sont intenses, du début à la fin. Mis bout à bout sur six cent mètres, c’est quelque chose!
Seul bémol à mon goût sur cette perle d’itinéraire: l’ouverture semble avoir été faite du haut… et cela se fait furieusement sentir. Certaines longueurs sont équipées « proche », d’autre beaucoup moins. Et pas tous les points sont logiques et aisés à clipper. Si c’est en effet ouvert du haut, je trouve dommage de ne pas sentir la beauté de l’ouverture en revivant les doutes et joies des ouvreurs à trouver les prises en allant vers le haut, comme nous…
La descente:
Quatorze heures pour passer de la voiture au sommet. Une heure et demi pour passer du sommet à la voiture! C’est à la fois pratique et frustrant. Mais c’est à l’image de cette voie: on vient ici pour passer du temps à faire des mouvements d’escalade magnifiques sur du rocher parfait, dans une ambiance unique et sauvage. On n’y vient pas pour être efficaces!