Guider nos clients vers les sommets pourrait se limiter à assurer leur sécurité et leur réussite. Et ce serait déjà beaucoup! Mais nous avons envie d’ajouter encore un peu d’énergie pour construire quelque chose de plus fin: former une belle cordée, c’est-à-dire un binôme de confiance qui évolue ensemble et rêve de projets. Petite mise en pratique de cette manière de travailler avec Karen, il y a quelques semaines.
Karen nous a contacté pour nous demander si nous avions des disponibilités cet été. Elle fait un peu son retour à la haute montagne après quelques années d’éloignement des hauts sommets et ses rêves sont de taille: Eiger, Zinalrothorn, Schreckhorn – Lauteraarhorn,…! Il me reste deux fois deux jours de disponibles dans mon agenda estival alors, d’accord avec mes amis et collègues, je les bloque pour Karen.
Lorsque les attentes techniques d’un ou d’une client(e) que je ne connais pas sont élevées, je propose systématiquement « une course de préparation ». Je mets les guillemets car cette course sera bien plus qu’une préparation. Ce sera surtout l’occasion de se connaître, d’apprendre à évoluer en montagne ensemble et à se faire mutuellement confiance. Ma cliente ou mon client pourra s’approprier notre cordée, s’y intégrer, s’y sentir à l’aise et accueilli(e). Et moi, je pourrai évaluer le niveau de mon compagnon de cordée afin de lui proposer, pour la prochaine sortie, une course parfaitement adaptée. Ce n’est pas un test, c’est une prise de contact. Parce que nous n’avons pas envie d’aller en montagne sans cette dimension puissante de la relation humaine à l’intérieur d’une cordée.
Ma cliente ou mon client pourra s’approprier notre cordée, s’y intégrer, s’y sentir à l’aise et accueilli(e). Ce qui pourrait être unidirectionnel devient un échange.
Je propose à Karen d’aller faire l’arête ouest de la Dent de Tsalion. Cette magnifique course est un parfait apéritif pour des projets plus ambitieux! On y fait un peu de tout (approche dans des blocs, escalade, « crapahutage », descente en terrain parfois instable,…), sans que ce soit trop long.
Le premier soir à la cabane de la Tsa, Karen et moi faisons connaissance. Nous parlons de tout et de rien, de nos souvenirs alpins, de nos projets,… Matthias, un ami guide, est également là ce soir avec une cliente et déjà le courant passe dans le quatuor. Ça sent bon tout ça!
Sur l’arête le lendemain, je découvre une Karen « bouquetin »! Elle marche et grimpe vite et elle est à l’aise en terrain scabreux. Mais surtout, on se comprend vite, ça « déroule » et la cordée est sûre et efficace. Le rêve!
Nous arrivons les quatre au même moment au sommet de la Dent de Tsalion. Un clin d’oeil avec Matthias suffit: nous décidons de poursuivre vers l’Aiguille de la Tsa. Nos deux cordées ont été rapides et la joie d’être ici immense: aucune raison de ne pas prolonger un peu la journée! On improvise une descente via Bertol grâce à la complicité de Diana qui organise la descente de nos quelques affaires laissées à la cabane de la Tsa.
Deux cordées au départ, nous en formons maintenant qu’une!
Et tout est aligné ce jour puisque qu’un véhicule nous prend même en stop à la fin, pour nous économiser les plats du fond du Val d’Hérens! J’espère réussir à transmettre ici par écrit ce que je ressens après des journées comme celles-ci! Tout roule, ça avance, ça rigole, ça se fait confiance. Tout ceci est tellement plus central qu’arriver au sommet! Ainsi, je n’hésite pas une seconde à proposer à Karen d’aller, le week-end d’après, faire la fameuse traversée arête sud (Rothorngrat) – arête nord du Zinalrothhorn: un de ses rêve.
C’est parti pour le Zinalrothorn!
Le jour de la course, nos réveils sonnent bien tôt… mais c’est tout joyeux que nous sautons du lit: on se réjouit. De mon côté, c’est la décontraction: je sais que Karen à « la caisse » (comprenez: la forme physique) et que je peux lui faire confiance. J’espère qu’elle aussi se sent bien dans notre cordée et qu’elle pourra savourer chaque seconde de cette journée!
L’approche sur le glacier et la remontée du couloir de neige se font de nuit. Au col, on se fait accueillir par la lumière du jour… mais aussi par un vilain vent du nord qui nous congèle les os. On se regarde avec un petit sourire: on sait que ce sera un peu le combat! Ce vent n’était pas prévu aussi fort et les lenticulaires associés ne faisaient pas non plus partie du programme! Mais sans surprise, on avale cette arête sans problèmes (hormis quelques onglées!) et peu de mots sont nécessaires pour assurer la sécurité de la cordée.
Oui… … ça caille!
La fin du parcours vers le sommet est plus aisé techniquement, mais surtout, nous sortons d’une jolie pause en plein soleil à l’abri du vent et ce dernier semble montrer des signes d’affaiblissement. Sommet! Ouf, on se regarde en rigolant, heureux d’avoir géré ce « combat »!
L’arrivée au sommet est évidemment un super moment, mais on a surtout le plaisir d’avoir fait les choses sereinement et avec complicité! Le « combo » gagnant en montagne.
Autour d’un bon plat à la cabane du Grand Mountet, on se remémore les bons moments de la journée. Et on parle de projets!
Karen a encore plein d’envies de montagne en tête. Et je suis heureux de peut-être avoir la chance de l’accompagner dans ceux-ci. Une cordée est formée!
Belle fin d’été à toutes et à tous!
Yann