Le pilier central du Frêney. L’une des plus belles voie historique du versant sud du Mont-Blanc
Cette flamme granitique érigée à l’aplomb du sommet du Mont-blanc, sur son versant italien, détient une histoire célèbre au sein de la communauté alpine. Au début des années soixante, sa première tentative d’ascension se solde par une retraite tragique, dans la tempête. Sur les 7 protagonistes, seul 3 en reviennent vivants, dont le grand alpiniste italien, W.Bonatti. L’aura du pilier ne fût que grandit, suite a cette tragédie alpine. La même année, un mois plus tard, la première ascension de cette flèche granitique tombe sous l’assaut de certains grands maîtres de l’époque. R. Demaison, C. Bonington et D. Whillans en font partie. Ils retrouvent les étriers, les derniers, posés, en signe de point culminant atteint par les cordées du drame.
Ce pilier reste, de nos jours, une des grandes courses alpines. Sa difficulté est moindre, face aux voies ouvertes par la suite, mais son histoire renaît à chaque relai, dans chaque passage.
Il est orienté au sud, sud-est. L’escalade y est agréable et difficile, les derniers passages, s’effectuent à plus de 4600 mètres et regroupent toutes les difficultés majeures.
Par trois fois, j’ai eu la chance de parcourir cette page de l’histoire alpine. L’année 1991 fût celle de mon premier passage, sans encombre et ce, pour « épingler » une grande course supplémentaire à la liste demandée pour les examens de guide. 7 ans plus tard, je retourne, avec un plaisir immense, flâner dans les fissures du pilier, ce avec P.Mailhot un client qui est également un excellent alpiniste.
Jamais deux sans trois, paraît-il ! Août 2001 une troisième ascension avec un aspirant-guide, G Scherrer et deux clients, O. Kurz et O. Morand nous emportent vers le récit qui suit :
Les bivouacs d’Eccles, tonneaux métalliques de 9 places, nous accueillent. Ils sont séparés, du Val Veny, de plus de 2400 mètres de dénivelés, une longue marche d’approche est derrière nous. Nous sortons le jambon de Parme, le saumon fumé et les citrons, en guise d’un apéro bien mérité. C’est une tradition, je monte toujours mon saumon à Eccles. La suite du menu est bien plus simple, composée de nourriture lyophilisée, les derniers sachets du voyage en Alaska.
Une nuit des plus courtes ne nous permet même pas de rêver ! Deux heures du matin, les premières cordées bouges, nous en faisons partie. L’accès, au pied du pilier, est relativement long, il demande à chaque cordée une vive attention. Un couloir à 50° donne accès au col Eccles, puis une pente mixte et raide permet aux alpinistes de descendre dans le bassin du Frêney. Il nous faut 3 heures pour rejoindre le pied du pilier.
Les terrasses, à la base de l’itinéraire, nous donnent un peu de répits. Changement de chaussures et constitution des cordées se fait sous les dernières lueurs de nos frontales. Le jour se lève ! Le pilier est envahi par une lumière rose puis orange, ce qui accentue la couleur exceptionnelle du granit de ce massif. Chaque fois que je vis de tels moments, je me demande si ce n’est pas le soleil qui au fil du temps, fini par teinter le granit ? La chaleur matinale commence à se faire sentir, les premières longueurs sont rythmées par les cliquetis des mousquetons. Un plaisir non dissimulé nous habite. Chacun d’entre-nous savoure chaque mouvement, chaque instant emprunté à l’histoire. Nous attendons tous d’arriver dans les passages de la « Chandelle », section finale et monolithique du pilier.
Personne n’est déçu ! Les premières difficultés dont une traversée sur une arête neigeuse nous refroidissent un peu… Nous la franchissons à califourchon tant elle est effilée ! La suite nous oblige à puiser dans les techniques anciennes, l’escalade artificielle !
Une sangle dans le mousqueton, je monte le pied dans celle-ci, je pousse pour me rétablir, et essayer d’attraper le piton du dessus. Ce rituel va durer trois heures, le temps de franchir les ultimes passages du pilier.
Xavier dans le départ de la traversée pour rejoindre la sortie de la chandelle. (photo : Olivier Kurz )
Comme à chaque réalisation d’itinéraire historique, je pense aux premiers alpinistes ayant ouvert la voie. Le matériel qu’ils avaient, leur condition psychique et physique, le tout chapeauté par un culot exceptionnel. Cette réflexion prend toute son ampleur, quand nous louvoyons dans ces passages finaux, en versant oriental du pilier.
Une courte traversée vers l’est, nous amène au pied de la longueur la plus difficile, 5c/6a, A1 ou 7a/b en libre. Au pied de celle-ci, le relai est suspendu, au-dessus de 400 mètres verticaux aboutissant dans un couloir. Les cordes qui pendent dans le vide nous confirment, si besoin en est, la raideur de cette ascension.
Comment ont-ils pu savoir que la sortie était par là ?
L’engagement prend une forme pratiquement palpable dans ces instants uniques. La sortie au sommet de la « Chandelle » réconforte. Nous y retrouvons le soleil, nous allons pouvoir alléger nos sacs à dos, en récupérant nos crampons et nos grosses chaussures. La suite n’est pas, pour autant, servie sur un plateau. Il nous faudra encore 3 heures pour sortir au sommet du Mont-Blanc, mais quel instant hors norme… Le couché de soleil, le vrai. Celui où l’astre magique est rouge vif, ou le temps semble ralentir, ou nous savons tous qu’une photo sera moins forte qu’un souvenir.
Le retour, vers l’aiguille du Midi, nous demande encore 5 heures d’effort. Moments volés au milieu d’une nuit étoilée. Nos lampes frontales commencent à rendre l’âme, nos jambes sont lourdes et la boisson fait cruellement défaut. Nous arrivons à 1h30 du matin, après 23h00 quasi non-stop, au refuge des Cosmiques. Nous soupons avec des amis qui eux déjeunent avant de partir au Mont-Blanc !
Une très belle course, réalisé dans des conditions formidables, la limite du zéro degré à plus de 4500 mètres, pas de vent et deux cordées motivées.