…11 octobre 1998 :

Au sommet de l’Ama Dablam, je vis, seul, la réalisation d’un rêve. Mon premier sommet asiatique est et sera pour moi, un cadeau à vie… Pas de corde fixe, pas de sherpa qui porte littéralement les besoins vitaux de ses clients, nous sommes en altitude et avec Jean François, nous nous assumons. ( voir récits 1998).

Camp de Base de l’Ama Dablam, octobre 2016. En 1998 nous étions 2 groupes…

24 octobre 2016 :

« J’aurais du m’en douter » me dis-je en arrivant au camp de base du Cervin de l’Himalaya. 32 expéditions de 8 à 15 membres posées au camp de base, c’est une ville…  Avec Laure, nous ne sommes pas au bon endroit.

Le début d’une triste et réelle constatation : nous ne faisons pas bonne route avec la commercialisation de l’altitude. Constatation connue mais qui se confirme que trop, malheureusement.

…31 octobre 14h30 :

Cela fait 1 heure que nous attendons sous la tour jaune. Un sherpa-transporteur motive son client, le tire, le pousse pour qu’il sorte des 30 mètres verticaux, pour aboutir au camp 2. Une belle longueur en libre cotée 6a. Cotation corde fixe non proposée…

…31 octobre 22h30 :

Départ du camp 2 à 6000 mètres.

Je viens de passer un piton neuf planté à 20 % sur lequel est liée la corde fixe orange. Le renvoi suivant est composé de 2 pitons, le premier tête en bas et le second est excellent, toujours cette même corde fixe orange. Mes sens commencent sincèrement à vouloir aller dans l’autre sens… Renvoi suivant : 1 pieu à neige planté dans une fissure et plié tête en bas, relié à un gros bloc figé dans une fissure entouré de glace….

A cette constatation peu digne d’un travail bien fait,  financé par chacune des 32 expéditions en place, j’ajoute 20 personnes qui ont quittés le camp 2 en même temps et qui ne se posent aucune question : ni morale, ni éthique, ni sécuritaire, juste remonter le jumar un pas plus haut.

23h15, c’en est trop! Je me retourne vers Laure, ma cliente et en une phrase je stop net son rêve de sommet sacré. En tant que guide engagé pour la sécurité de ma cliente, je me dois de refuser d’évoluer sur cette seule et unique corde fixe. De plus, il est vrai que Laure voulait faire de l’himalayisme et non une via cordata à 6000 mètres. Il est urgent de préserver la vie physique, psychique et émotionnelle lors de ces ascensions. Nous nous en éloignons !

A savoir que remonter la voie normale en style alpin est impossible, vu la fréquentation et les cordes fixes.

Désolé du fond du coeur, Laure d’avoir pris cette décision, mais ton rêve d’ascension, dans ces conditions, aurait facilement pu basculer  dans le monde des cauchemars.

Laure dans la longueur clé avant le camp 2. Un bon 6a à 6000 mètres, si vous jouez le jeu…

Laure sur l’arête vers 5800 mètres.

…1 novembre 0h45 :

Retour au camp 2, 10 tentes en place sur l’arête, certaines pendent en partie dans le vide. Le camp est une toile d’araignée tissée de cordes fixes et autres bouts de cordelettes. Nous nous glissons dans nos duvets.

Mon esprit échauffé par ma décision, mes idées tournent et s’entrechoquent. Assumer pour moi et ma cliente de refuser d’entrer dans ce train qui ira, pour certain au sommet, pour une raison première; la sécurité.

Quand je pense aux personnes croisées depuis hier sur cette arête la seule certitude à leur sujet est: Ils ne connaîtront ni l’odeur du rocher, ni la froideur de la neige, pas non plus l’honneur d’avoir grimpé et flirté avec cette montagne sacrée, mais bien cette honte d’avoir juste poussé ou tiré sur un brin orange ou bleu, d’avoir eu, pour certains, un sherpa qui leur aura enlevé et remis le jumar à chaque passage de renvois… Aussi tondu que je sois, mes cheveux se dressent sous mon bonnet!

C’est bien de honte dont je parle :

Sir Edmund Hillary doit se retourner dans sa tombe! Qu’avons-nous de ces deux magnifiques conquêtes ; l’Everest et l’Ama Dablam ?

Des champs de courses à la vanité humaine, munis de lignes de vie orange, noir ou verte, sur lesquelles se promènent des pantins de couleurs, totalement assistés par leurs sherpas. Des marionnettes qui, pour certaines, fouleront le sommet! Toujours sans connaître l’odeur du granit ou la froideur de sa glace !

Hier en montant vers le camp 2, j’avais promis à Laure quelques belles longueurs sur un granit rouge, parfait. Des souvenirs de 1998. Au lieu de cela, une corde bleue neuve fixée, des sherpas chargés de tentes, sacs de couchage et grosses chaussures des clients. Que fait un sherpa de 3 paires de chaussures?

Laure marche depuis le camp de base avec ses Spantik, son duvet, ses vêtements et son matériel! Et si elle ne peut grimper ses belles longueurs promises, ce n’est pas qu’elle est fatiguée, loin de là! C’est parce que ces longueurs sont encombrées de porteurs, de cordes fixes et de marionettes, qui pendent, physiquement parlant, sur leur filin de vie.

Triste échec de l’himlayisme ! Le pire dans tout cela, c’est que nous, le monde des guides, nous en sommes en partie responsables, j’ajoute une couche à la honte !

Xavier, regard nostalgique vers les souvenirs de 1998. Même montagne, mais loin d’être le même genre d’ascension.

…1 novembre 7h30 :

Avec Laure nous quittons le camp 2. Son rêve inachevé est certainement une souffrance. Mais elle-même le dira ; une grande partie de cette déception est sa constatation de voir à quel point ce sommet sacré est bafoué, maltraité et non respecté.

…5 novembre 7h30 :

Luckla aéroport.

Une équipe croisée sur l’arête de l’Ama Dablam prend le même avion. Les regards se croisent, le mien plonge sur leurs chaussures Scarpa 6000. Ils les portent pour alléger leurs bagages. « Les pauvres » fût ma première réaction, puis je me suis dis : »pour une fois que ce sont eux qui les portent… »

Deuxième regard plus inquisiteur pour constater qu’elles sont neuves…. les semelles brillent leurs chaussures n’ont pas marchés du camp de base au camp 2, elles faisaient partie des chaussures portées à dos d’homme (de sherpas).

Ils sont fiers d’avoir foulé le sommet du Cervin népalais en ayant jamais usés leurs chaussures dans la longue moraine entre la base et le camp1 ou 2 !

Je n’en peux plus de ce décalage!

Les guides et l’UIAGM :

Durant toute la marche de retour, traîne dans mon esprit la triste constatation que nous sommes responsables, en partie, nous les guides de ce développement purement commercial-retable de ces lieux.

J’ai croisé 3 ou 4 népalais portant fièrement l’emblème UIAGM. Quelle baffe!

Si nous,  membres de cette entité internationale, ne sommes pas capables de préserver l’éthique de l’Alpinisme, au profit du profit, personne ne pourra le faire. Certainement que c’est trop tard pour agir en profondeur!

Autre expérience vécue lors de ce voyage :

J’ai croisé un personne anglaise qui travaille comme guide pour un groupe de clients. Sur la même montagne, cette via cordata de 1500 mètres. Court extrait de notre discussion :

Moi : –  » ahhh tu es guide alors ?  »

Elle : –  » Ouii, mais non » !

Moi : – » ? c’est a dire ?  »

Elle : – « Ici je suis guide, car le peux guider en himalaya, mais pas en Grande Bretagne, je ne suis pas guide là bas ! »

Moi :  » Ahhh c’est vrai que les montagnes en Europe sont plus dangereuses…. »

Dépité je suis!

Comment va-t-on défendre notre métier, savoir faire, éthique et marque de fabrique si sur les plus hauts sommets du monde les agences encadrent leurs clients, qui n’ont que trop peu d’idée d’une éthique quelle qu’elle soit de ce milieu, par des non-guides ? De plus dans un pays entré dans l’UIAGM !

Conclusion d’une minorité sur cette montagne sacrée :

Une réelle sensation de viol.

La lueur d’espoir de cette expérience est attachée à la tentative en face sud, de l’arête Lagunak. Tentative réalisée par une équipe de jeunes guides de Haute Maurienne. Peut-être que cette génération prendra les bonnes décisions…