Guider est ton devenir? Patient, réfléchis et formé, tu devras l’être, jeune aspirant-guide! Yoda n’aurait pas utilisé d’autres mots si sa sagesse était reconnue de tous dans l’apprentissage de ce métier aux responsabilités vitales. Même sur Aldorande les dangers de la montagne restent les mêmes !

Petites réflexions pour un très grand métier !

Jérôme guide chez helyum.ch, conduit son client au Caraz 1 au Pérou
Pérou, 2008. Jérôme et son client font la trace pour monter au Caraz.

Les yeux fermés, je fais le plein d’énergie solaire, posé contre le mur de la terrasse du gîte où nous passons, depuis quelques années, une partie de nos vacances. Un paradis ! Les grillons fredonnent et mon ordinateur crache le rythme de “Moon is Blue”, des Silencers. Mes cellules voyagent au travers des souvenirs accrochés aux notes de l’ancien repérage de Couleurs 3. J’ai commencé à guider quand cette radio habitait continuellement mes oreilles… Couleur 3 a orienté mes choix musicaux durant plusieurs décennies.

J’entre-ouvre mes paupières, le soleil réchauffe mon dos affaiblit par trente ans de métier. Ces quelques décades commencent à peser sur ma carcasse.

Accepter l’usure, reconnaître mes nouvelles faiblesses, ne pas fléchir mais accepter le changement des courbes ! Apprendre à être ce que j’ai construit, simplement.

Xavier guide chez Helyum.ch. Lors d'une tentative d'ouverture au Népal
L’auteur, sur les hauteurs du Népal lors d’une tentative d’ouverture qui a encore des droits d’auteur… Les initiés comprendront.

Quand ces douleurs se manifestent, je m’accroche à cette petite phrase, crachée, il y a quelques années par Nahuel, un de mes amis proches. De son Argentine natale et par whatsapp, alors que mes épaules m’empêchaient de grimper, il me lance quelques brides franco-espagnoles :

“Eh, mec, no miras ce que tu ne peux plus faire, mais bien tout ce que tu as réalisé qui fait qu’estas hecho mierda”….

Il y a bien que lui pour me balancer froidement cette réalité brûlante… Je m’accroche à cette vérité comme à un bouée de sauvetage quand le bateau coule. Je ne coule pas, le dos chauffe au soleil et demain j’arriverai à grimper à nouveau, me dis-je… La réalité est bien là. L’envie est souvent plus douée que mes capacités. Le monde du rêve grignote gentiment la place de la réalité.

Mon ordinateur balance un bon vieux Dépèche Mode de mon époque. J’ouvre les yeux, les grillons chantent toujours, les fourmis dansent, de La Fontaine est désabusé et moi j’irai grimper ! Ce n’est pas trente ans de métier ou 6000 jours d’ascensions qui vont me stopper. C’est bien l’égo du guide qui parle.

Mathieu et Philippe lors d'une retraite au Népal.
Savoir renoncer, même quand il fait beau. À croire que la météo nous était donnée par un messager boiteux…

« L’égobaffe » arrive dans la seconde suivante. J’essaie de me lever, je pousse sur ma jambe gauche et je grince des dents, du dos et des hanches. Tout compte fait, peut-être que j’irai grimper seulement après-demain !

Le 22 septembre 1992, lors de la remise du diplôme de guide de montagne, “ils”, les experts, nous ont bien confirmé que nous étions aptes à entamer une carrière de guide. Ils nous dévisageaient d’un regard paternel et nous félicitaient d’entrer dans cette grande famille. Combien d’entre eux étaient sous Voltaren, anti-inflammatoire ou Tramal à ce moment là ? Combien d’entre eux avaient déjà changé une hanche ou une épaule?

De toute façons je suis certain que même si ils avaient été encore plus paternalistes, en nous avertissant de toutes les usures que cette profession provoquerait chez nous, nous n’aurions pris acte. Cette profession est avant tout une passion !

Et par passion l’humain est bien le seul mammifère capable de se brûler plusieurs fois de suite. Brûlons-nous, consumons-nous, mais grimpons à feux et à sang.

Guider c’est éviter certains obstacles….

 » Les guides, vous êtes toujours en vacances ! « 

Non, les guides vivants de leur métier ne sont pas continuellement en vacances ! Pour ma part, si je dois m’abaisser à cette croyance, il m’est facile de penser qu’elle est bien souvent colportée par des amateurs frustrés de n’avoir osé ou réussi le cours de guide.

Après une nuit d'orage à l'Illimani en Bolivie. Expédition xavier carrard et helyum.ch
Location de vacances avec vue sur la mer….. Bolivie 2018 après l’orage.

Êtes-vous prêts à passer les trois mois estivaux en vacancse, sous le mode « guide de montagne gagnant sa vie » ?

3, 2, 1 : Partez !

Le planning des « vacances » est à mettre sur pied bien avant les trois mois salvateurs, ceci paraît évident. Logiquement, cette organisation apparait en pleine saison hivernale… À peine rentré d’une semaine de « vacances » supplémentaires passée en haute route ou en voyage au Kirghistan avec ses meilleurs amis et ses clients, notre guide de montagne aura dix heures à la maison, pour profiter de sa famille, répondre aux mails, faire une lessive, refaire son sac pour le départ matinal du lendemain… et dormir quelques heures. Mais que cela ne soit que du bonheur: il repart en « vacances »…  Et, comme abordé plus haut, c’est dans ce laps de temps que l’organisation des prochaines vacances du guide se fera, c’est à dire la planification des nuits en refuges, les vols éventuels à commander, la comptabilité, le maintien de son site web, la gestion de ses réseaux sociaux, l’achat du matériel disparu ou laissé dans une fissure, les petites réparations et toutes les autres obligations de la vie à gérer.

Hé ! Mr. Duchnoque, continue à dire que l’on est constamment en vacances et tu auras affaire à la crosse de mon piolet six coups. Le débat est clôt.

Guider c’est un métier et heureusement, il ne s’improvise pas !

Guider, c’est des responsabilités importantes. Humaines avant tout.  Organisationnelles par la suite.  Savoir gérer les différences caractérielles, les envies, les capacités, les besoins, les rêves et frustrations de ses propres clients et de soi-même.

Guider, c’est anticiper tout ce qui est prévisible et bien souvent ce qui ne l’est pas !

Guider, c’est accepter en tous moment les changements de projets et de capacités de sa cordée.

Guider, c’est garder l’esprit critique, même quand la montagne dort. C’est accepter la fatalité, sans la provoquer.

Guider, c’est vivable à long terme, uniquement si la passion coule toujours dans tes veines.

Guider c’est être constamment en vacance, hein Mr.Duchnoque !

Guider, c’est une perpétuelle adaptation. La montagne, la météo, le monde, les lois, la clientèle, les demandes, les solutions, la santé et le matériel évoluent. Tout est en mouvement perpétuel. Pire que certains mécanismes des montres suisses…

Verdon. Vacance de guide. Helyum.ch
Guider, c’est aussi se faire un peu plaisir dans un terrain aseptisé. Ici au Verdon.

Les grillons chantent toujours, le soleil me réchauffe et c’est le moment de sortir de mes délires. Guider c’est aussi savoir se reposer, se taire et penser à autre chose !

Tiens, sur ces derniers points, tu es vraiment nul ! C’est ce que me hurle mon petit diable interne…

Ce petit diable interne qui, chez la plupart de mes amis et collègues, comme chez moi, sort les dégaines pour faire danser le bruit des cliquetis quand nous avons décidé de nous reposer. Il irait même jusqu’à farter nos skis en douce pour tester notre stabilité décisionnelle en fin de saison… Ce démon a si souvent été l’étincelle d’un projet réussit ! Il sait si bien mettre le feu aux poudres.

Ce petit démon, c’est notre instinct, notre passion. Il intervient régulièrement dans nos vies. Et il en devient un ange par ce qu’il nous procure: des instants magiques et inattendus en montagne, fruits de nos rêves, de notre expérience et de notre passion pour ce métier.

Il est tellement simple de le vérifier :

Choisissez deux jours d’une météo irréprochable. Contactez votre guide habituel en sachant (ou non), qu’il a préalablement prévu de prendre trois jours pour grimper avec ses potes ou sa compagne du moment. Proposez-lui une belle course et le test est réussit…

Bonne course !

Lors de l'ascension du pilier Gervasutti au Tacul. Hellyum.ch
Pilier Gervasutti au Mont-Blanc du Tacul. Le genre de course que l’on ne sait refuser !

Après cela, nos clients continuent à croire que nous avons du caractère. Lucifer rit encore sous le Grand Capucin… Que diable, je ne vais pas aiguiser mes aiguilles et palabrer des heures sur l’une des plus belles professions que je connaisse. Laissez vous guider.

La réalité ! Si ces lignes ont été griffonnées c’est que j’apprends le temps de me reposer !

Que votre saison estivale soit belle et remplie de découvertes.