Le mot « confinement » et ses obligations peuvent être vécus de plusieurs façons. Ce matin au réveil, je me suis rappelé que durant l’automne 2006 nous étions restés sept semaines au pied du Cho Oyu et ses 8201 mètres…
Sept semaines pour exactement six jours d’action entre le camp de base et le sommet. Du coup, j’ose presque affirmer que certains alpinistes sont très bien « entraînés » aux longues attentes dans des conditions spartiates. Voici un texte que j’avais écris il y a quelques années concernant le confinement au camp de base !
Je pense réellement que ces moments à « la base » sont les meilleurs instants de la vie ! A quelles périodes d’une vie, arrivons-nous à ne rien faire, à vivre au ralenti, voire à zoner complètement ? Où et en quels lieux, arrivons-nous à manger que du chocolat, de la viande séchée et des fondues, sans saturation ? (… À part en pleine crise de COVD-19 ! )
Où et en quels endroits rencontrons-nous autant de gens ayant tous des origines différentes ? Les camps de bases sont très souvent une magnifique mosaïque de la vie humaine. (Sur ce point il est vrai que nous sommes à l’opposé de la situation actuelle...)
Comme déjà relaté dans le texte du Cho Oyu, la vie dans ces camps de base s’organise souvent autour d’un troc international. Chacun d’entre nous élabore sa propre monnaie et ses propres valeurs en fonction des envies… Le Ragusa pourrait coter comme de l’or en bourse, selon ce que je vais troquer et à qui! Un morceau de jambon de Parme autour de son os, une fondue ou un petit vin argentin sont des capitaux d’une stabilité impressionnante durant deux mois de camp de base !
Le début de journée est typique: se lever avec le soleil vers 9h30 après des nuits de 12h00 car, hors de nos duvets, le froid nous mord les orteils. Souvent nous en avons notre claque de briser l’émaille de notre dentition lors des longues soirées. D’autant plus que nous en avons besoin pour attaquer le jambon de Parme de l’expé d’à côté !
Seul dans ma tente trois places, je suis au camp de base du Cho Oyu. Le soleil apparaît enfin au travers de la toile, la chaleur solaire augmente à une vitesse prodigieuse. Les écouteurs de mon I-pod dans les oreilles, mes yeux rivés sur la photo de mon fils, je pense :
Cela fait quatre jours que nous attendons le beau temps ! 4 jours x 24 heures = 96 heures que je me paie le luxe de ne rien faire, juste penser, rêver, manger, troquer, boire et dormir… Pas loin d’un confinement. Je sais, partir en expédition relève de mon propre choix ! Sincèrement, les semaines passées à 5700 mètres au pied du sixième géant de notre Terre font partie de mes meilleurs souvenirs.
Les confinements des camps de base sud américains hantent ma mémoire. Ils ont aussi une place importante au centre de mon cortex…
Au Pérou, les souvenirs ingérés lors de la formation des guides péruviens (pour laquelle j’ai travaillé six années de suite) au rythme quasi constant de deux mois et demi sur place, me permettraient d’écrire un livre… Au camp de base de Lliaca, lors de la formation en 1997, nous instaurons des parties de football de 2 x 10 minutes. Nous sommes à 4300 mètres et les buts d’en face sont vraiment loin ! Malgré les pulsations à 180, la tête qui éclate et le souffle archi court, le plaisir est intense. En 2004, nous débarquons à Huaraz, mon frère et Bubu un ami client . Les guides du coin nous attrapent au contour alors que cela fait qu’une journée que nous sommes là. Une petite partie de foot ? Eux, ils ont joué ! Nous nous en avons tellement bavé que depuis, je n’ai plus jamais touché un ballon !
Noël 1990, au pied de l’Aconcagua. La fête fait rage dans les tentes mess. Je pense qu’aucune personne n’est sur la montagne, nous sommes tous à chanter, vibrer, danser dans un mélange d’une trentaine de nationalités. Je suis avec des amis, Thierry, Marianne et Monica. Pour nous quatre, cette expédition représente une de nos premières expériences à l’étranger. La découverte est totale ! L’ambiance monte, Thierry arrache un fût de rangement dans un des coins de la tente. Le jembé improvisé raisonne, le rythme s’accélère dans la tente et la fête s’enflamme. Ces images, si simples soient-elles, m’ont permis de comprendre qu’il faut peu pour être heureux !
C’est dans ces mêmes camps de base, au Pérou, au Népal, au Tibet, en Argentine, au Chili, en Iran, en Alaska (et j’en oublie) que j’ai rencontré des gens qui ont modifié ma vie, ma vision du monde et agrandi la famille de mes amis. Tous ces liens se tissent en partie avec ce fameux troc cité en entrée d’article.
C’est l’endroit idéal pour apprendre à se connaître, à connaître les autres, face à un rythme de vie éloigné de nos obligations, de nos vies urbaines. Une aubaine, une chance dans la vie actuelle. Prendre le temps de voir passer le temps !
Contrairement à certaines idées reçues, les camps de base sont généralement confortables, avec de grandes tentes mess où nous nous retrouvons pour manger, lire, écrire, et refaire le monde ! Refaire ce monde duquel nous sommes totalement déconnecté, un autre confort incroyable ! Cette sensation que rien ne peut nous toucher. Le retour en plaine est souvent une immense baffe ! Peut-être que c’est en partie ce que nous cherchons ? Sachons « revenir en plaine » après notre confinement COVD-19 de façon douce, sans prendre cette immense claque…